dimanche 23 novembre 2014

D'eau et de mots


Assignée à résidence.
Abandonnée ?

Cernée d'eau.
Au-dessus, une ombre gigantesque. Des nuages. Ils roulent et s'enroulent sur eux-mêmes dans des fracas de menaces.
Partout des arbres innommés volent des fragments de lumière à l'invisible. Quoi sous la canopée entêtante ?
Fragrances d'écorce vive, silex brûlé, sucre et miel, mousses saturées de moiteur.
De branche en branche un cri ricoche.

Là, dans les sables noirs, ses pieds prennent peur. L'eau sans couleur d'une caresse semble les vouloir avaler. Le sol se dérobe. Succion.

Impossible de rejoindre
l'ailleurs où, à grands gestes disloqués, sa tribu l'appelle.
Là-bas, où tout resplendit – couleurs, lumières.

Entre l'ailleurs et l'ici,
le frémissement d'un voile de vapeur !...

L'eau clapote. Petits bruits indécis, insidieux, « viens, viens ».
Mais sombre ! Si sombre !

La flottaison des algues diffuse l’âcreté des embruns.

L'espace se resserre.
Algues sirènes,
chants mouillés des feuillages,
flop-flop  trop paisible insinué entre les orteils, sous la plante des pieds.
Rafales d'iode et de parfums paradisiaques.

Pourquoi tout ce noir, ce vert, ce bleu, outrés jusqu'à cette opacité glauque ?

Demain.
Oui, demain.
Elle se risquera.
Ardemment, elle tentera de mêler le bruitage de ses pas
aux branches qui craquent,
aux pierres qui éclatent,
au vent dans les frondaisons,
au rire, peut-être, d'un singe, d'un oiseau...

Rendra-t-il le soleil à
cette prison de ténèbres

qu'il lui faudra bien arpenter ?

Ici.
Où elle fut,

assignée...

Gabrièle Benitah
Ateliers d'écriture des Nuits de l'Enclave, Valréas, automne 2014

mercredi 12 novembre 2014

Quand Valréas s'appelait Vaurias


Mon territoire

En posant pieds à terre et nez en l'air, la caresse nerveuse de ce bon vieux mistral s'est engouffrée en me pénétrant ardemment cœur et corps.

Est-ce que je savais qu'il m'était possible de retricoter ce lieu dont je me suis rendue coupable d'abandon ? L'espace d'un instant, il me plaît d'arpenter ces poussières de souvenirs accumulées en moi. Je suis là. Tu es là. Je ne te connais plus, ni ne te reconnais. Et toi, te souviens-tu de ma petite personne ?

Pourquoi me regardes-tu au travers de tes yeux des rues froides, figées, désertiquement désertées ? Pourquoi me prives-tu des rires enfantins, des discussions de tes métallurgistes en grève ou du boucan terrifiant et assourdissant des métaux, des effluves enivrantes de lavande, du chuchotement de tes boîtes de carton, du frémissement de celles en satin..., du parfum qu'elles devaient contenir en d'autres lieux, des regards du dedans des vitrines, du ... ?

Ah ! Vaurias de mon enfance ! Comme tu étais vive, turbulente, belle, jeune, enthousiaste, rieuse ... sage comme la vieillesse, bonne comme le bon pain sous les vapeurs de la locomotive de grand-père et comme tu...
Quoi ! Lou mistrau, tu me bouscules, me frappes, me gèles, me brûles, m'empoussières... dans le tourbillon de ta grande vengeance qui n'a pu frapper plus tôt.

Extrait de "L'espace d'une vie de femme"
De Giselle MUSICIEN le jeudi 25 septembre 2014