mercredi 14 janvier 2015

Liberté, liberté chérie...


En liberté

La nuit. Sous les étoiles. Hiver. Janvier. Froid. Sur une falaise. Dessous, la mer. Dormir là, Dehors. Un seul sac de couchage. Sarcophage. Petit campeur. Paris. Il faut y entrer tous les deux, dans ce sac. 1m 80, baraqué. 1m 60, plutôt fluette. Qui commence ? Ta moustache devient blanche. Je ris. On est fous ! Il gèle. Évidemment, on ne se déshabille pas. Regarde. Interrogation. Tu te lances ? Non. On rentre ensemble. Comment ? Debout, serrés l'un contre l'autre. Le sac en tire-bouchon à nos pieds. L'ascension commence. Je te respire. C'est bon ! On grelotte. Le ciel brille et tremblote. Te regarde. Debout dans le sac. Ça marche. On est dedans. Bon, il faut s'allonger. On ne peut pas dormir debout. Je ne vois plus ton visage. Je suis sur ton cœur.
Je ne me souviens plus de l'instant entre debout et allongés. Ça a sûrement été violent. Rires. Seule au-dessus des vagues. Les étoiles sont-elles toujours là ? Toi, tu me serres fort... Je suis bien. Tu dors déjà. Je t'entends. Que faire d'autre ? On ne peut faire aucun mouvement...
Des ailes vont me pousser cette nuit, c'est sûr. Demain, je m'envole : mouette, ballon, cerf-volant, plume, graine, poussière, nuage...
Au matin, seule ta tête dépassait. Restait à faire le chemin inverse : s'extirper.
Retruver le chaud. Les autres. Ne rien raconter. Ils ne nous croiront pas.
Croyez-vous que j'ai rêvé ? En tout cas, j'ai volé, je jure que j'ai volé.
Claudine Kimmerlé
8 Janvier 2015


Tchin tchin ! À nos robes !

Elle a juste quatorze ans. Elle est mince, bronzée. C'est la rentrée, ou peut-être le mois de juin. Peu importe. Elle porte une jolie robe. Toute simple et néanmoins... originale. Comme un tee-shirt. Un débardeur plein de taches multicolores. Une palette de peintre. Avec une ceinture rouge. Peut-être verte. La robe est un peu courte. Mais pas trop quand même. À cause de la ceinture. Effet blousant...

C'est la récré. Elle discute avec ses copines. Rien de mal. Ah oui, et des ballerines en toile, aussi. Vertes. Peut-être rouges.

Les filles discutent. De quoi parlent-elles ? Nul ne le sait. Même pas moi. Une surveillante arrive. Comme une bombe. Celle qui a autorisé la cigarette au fond de la cour. La directrice l'ignore. Les profs aussi. Pacte secret pour acheter la paix sociale. Démagogie.

La surveillante fond sur le groupe de filles. Sans un mot. Elle tire sur la robe. Une main de chaque côté. Elle tire d'un coup sec. La robe descend jusqu'aux genoux. Sale regard. La surveillante repart. Sans un mot.
La fille ne comprend pas. La robe n'était pas courte. Pas comme vous pouvez l'imaginer. Dix centimètres au-dessus du genou. À peine. Quatorze ans. Pas d'histoires, pas de garçons. Enfin, pas encore. Pas de string, pas de vernis à ongles, pas de décolleté. Aucun vertige. Une robe multicolore, sans manches. Une ceinture verte. Des ballerines rouges.


Florence REY, Valréas

Angoisse.
Cinq étages.
Par cet ascenseur ?
Prisonnier de cette cage.
Affreux monstre métallique sans fenêtre.
Hurlant, tambourinant, bloqué entre deux étages.
Cherchant la main réconfortante de ma mère.
Le contact rassurant qui balaie toutes les peurs.
Seulement aujourd’hui tu n’es pas présente.
Malgré ces personnes qui l’empruntent.
Je n’y entrerai pas.
Je défierai ce monstre.
J’irai seul.
Les escaliers.

Liberté.
Jean Luc Sauton


Le jour dans une rue de New York

27 ans
Réussite au concours
Deux mois de préparation
7 heures de vol
Et l'avion se pose à New York
Abandonnée la maison
Abandonné Valréas
Abandonnée la famille
Je suis à New York
J'ai 10 ans, j'ai 20 ans, j'ai 1000 ans
Je suis à New York
Et je marche dans les rues
Moi, la petite fille de Valréas
Moi, je marche dans New York
Le monde est à mes pieds
Je suis un géant .
Enfant j'écoutais une chanson :
«  Grand maman c'est New York, je vois les bateaux remorques... »
Et je rêvais
Et j'y suis
Et je comprends que je suis faite pour cette ville
Qu'elle est faite pour moi
Je marche
Time Square
Broadway
Central Park
Les docks
La statue de la LIBERTE
Harlem
Tout dans le désordre
Les grands magasins
Les bouches de métro qui fument
La foule
Les gens qui marchent eux aussi
Mais moi je suis libre
Libre de marcher, de courir, de tout voir, de rêver
Et du coup je suis libre dans ma tête
Salut Max !
Les twins avec leurs boutiques et leurs bureaux
Mary au 18ème étage
Les ascenseurs qui montent haut
La vue sur New York de là haut
L’exaltation d'être aussi haut et de dominer la ville
La hauteur c'est la LIBERTE
Je domine le monde
Je suis libre de toute entrave
Puis c'est le 11 septembre
Plus de twins
La LIBERTE en prend un coup
Et la statue demande quelle est sa place.
Martine F.


Le voyage impromptu

Pas très friquée, la meuf. Chômage oblige. Mais l'appel. Viscéral. 900 km à parcourir. La Polo tient encore le coup. Pas réservé d'hôtel.
Marika n'aimait pas conduire. Baluchon vite fait. Appareil photo pas oublié. Un cahier vierge. Un stylo. Un autre au cas où...
« Avec un plein je fais la moitié du parcours. Je peux partir tout de suite. Tant pis. Je ferai les comptes au retour... »
Seule. La route, l'autoroute. La faim s'insinue, secondaire. Un seul but : avancer.
Halte au poste d'essence. Encore 400 km.
Ça vaut le coup, non ? Partir comme ça, sans prévenir personne. Elle n'a pas peur. Elle est grisée par sa passion. Ce besoin, cyclique, de retourner là-bas.
Le jour décline. Au détour d'un virage il est là. Ombre aiguë – ombre grise – Avec sa flèche dorée. Dressé dans les mauves du ciel. La mer est haute.
Marika a le cœur qui bat.
Très fort. Très vite.
Rien de nouveau : elle a envie de pleurer. Elle rit. Elle chante.
Allégresse.
Ivre d'avoir osé.

Abandonner la Polo sur la digue. Courir chercher - trouver une chambre pour la nuit. Pourquoi pas deux ? Il n'en reste qu'une à l'hôtel Duguesclin. Tu parles ! Marika ne discute pas. « Je prends ». spacieuse. Trop spacieuse. Trop luxueuse. « Je mangerai des patates à l'eau !... »
Le cœur qui bat.
Adieu fatigue ! Le Mont Saint-Michel ce soir. Nocturne en solitaire.
Une marche. Une autre. Volées de marches. Toiture au-dessus. Toitures au-dessous. Reflets bleus sur la mer noire. Personne. Seule au monde. Ivre d'air. Ivre d'espace. Ivre d'un bonheur... Lequel ?
Avoir pris son désir à bras le corps.
L'avoir étreint.
Être là.
Où elle avait voulu.
Première nuit d'errance titubante.
Le bonheur est dans les rues.

Affranchie des contraintes. Familiales et autres. Libérée des « après ? ». l'instant saisi. Magique. Renouvelé. Toujours le même.
L'heure avance. Il faudra dormir. Un peu.
Se lever avant le soleil.
6h du matin. Clarté à peine jusqu'à l'horizon. Marika n'est plus seule. Un homme levé sur un rocher. Un couple enlacé sur un autre. Elle. Regards conjoints sur l'infini.
Le temps coule. En douceur. Des vagues se profilent. Des rigoles s'emplissent. Le vent échevelle Marika. Elle a des larmes plein les yeux. De froid ?

Bientôt le clapotis
l'eau monte

Marika, les autres, reculent.

L'eau est montée. L'eau est haute.
Invitation ? Lever l'ancre peut-être...

Goût salé. Un lieu. Et puis ce mot.
Marika l'entend. Il martèle son cœur. Elle pleure. La joie tonitrue en elle.
Le mot bourrasque
le mot chuintant
le mot levé

Le mot  écrit
             décliné
 crié
Le mot qui fait
Toc  - Toc  - Toc
Li   -  Ber  - 

Gabrièle Bénitah
8 Janvier 2015


Mal a dit

Il est difficile de vivre.
Il est difficile de mourir.
Le diagnostic est posé : fin de vie.
La maladie n’est pas vaincue.
Et maintenant quel devenir pour vous ?
Pas de respiration naturelle.
Seul le tracé des battements du cœur.
Pas de conscience.
Pas de communication.
Le toucher/contact, la sensibilité.
Pas de réaction. Pas de mouvements. Pas de tressaillements.
Et la loi ?
Et la personne de confiance ? Existe-t-elle ?
A quoi sert-elle ? A qui ?
Et vous là dans ce lit, sous ses draps immaculés.
Où est-elle votre vie ?
Je sais moi qui vous étiez. On sait tous dans le service ce que vous souhaitiez.
Pas d’acharnement.
Réunion collégiale.
Explication à la famille.
Devenir expliqué à la mère, au père.
Lui malheureux, peiné, regard las, résigné.
Elle qui ne veut rien lâcher.
D’ailleurs, a-t-elle lâché quelque chose un jour.
Lui a-t-elle laissé un espace, de l’espace ?
Pour vous, travail, voyages, raids en 4X4 étaient votre vie.
Les filles, un peu, parfois mais pas d’attaches, pas de chaines.
Aujourd’hui, fils raccordés à une machine, tuyaux raccordés à un flacon, une pompe.
Un mois, deux mois, trois mois, six mois….
Et la loi ? Que dit-t-elle la loi ?
Et surtout qu’est ce qu’elle ne dit pas ?
Assez d’hypocrisie.
Militer, militer pour la liberté de mourir dans la dignité.

Danielle Françon
8 janvier 2015

mercredi 7 janvier 2015

Haïkus à Valréas

Comme chaque soir
De ma fenêtre :
Le soleil couchant
Sophie Delainé



Lumière au bout du jardin
Eclats de givre
C’est Nouvel An !
Thomas


Sous la chaleur provençale
La lavande trop mûre
Embaume
Marlène Cazorla

Dans les prés
Aux premiers jours du printemps
Eclôt la primevère
Alain Squividant
Haïkus écrits par des participants à l'atelier d'écriture "Coup de Pouce", Valréas, janvier 2015
sur la résidence à Valréas

samedi 20 décembre 2014

A et autres listes...


Ah Ah
Al Al
Ah
Al Ah?
Ahl…al..a…r
Ar….
Ach so????
Ar….
Ar……Rête!
C’est haut!
C’est trop haut!
C’est là haut, tout là haut
L’eau en toi
L’O en tOi
Vapeur d’eau
Vappereau……
Oui, c’est tOi !
TOi ! TOn nOm
Origine
IMAGINE !
TOi que tu arpentes-
Un tOit-Un tOut petit tOit
fragile mais…
TOut pOintu
Turlututu !

Allez ! grimpe, mOnte et tOut en haut……PlOuf !
PlOnge !
PlOuf ou FlOup !
Tu es Où ???

Je suis l dans le Â
La barre du Â
Tu la vois ?

 ment !
Non ! Â ne ment pas
 Attend.
Ardemment. ……L’OmegÂ

M.D.
Valréas, octobre 2014

Marie-Chantal
ou
Quelques manières de mourir 

Avez-vous connu Marie-Chantal, cette manière qu'elle avait de décliner le mourir ? Non ? Eh bien sachez que Madame,
    « Marche ou crève »
n'était pas son slogan. Trop raffinée, la Dame ! Ce n'était pourtant pas faute de ponctuer ses instants de vie mondaine de poncifs rabattus.
Je me souviens de cette fin d'après-midi de septembre. Le ciel limpide, l'air ambiant encore saturé d'été, rafraîchi d'une légère brise, avaient incité Madame à une promenade pédestre dans les bois. Une heure à peine, la voilà revenue, jouant l'épuisement. Elle s'affale dès l'entrée dans le premier fauteuil ouvert :
    « Je suis morte de fatigue ! »
 soupirs à la clef.
Quelques instant plus tard, retrouvant sa verve coutumière, elle me confiait :
    « Sais-tu que j'ai bien failli mourir de peur ? Figure-toi qu'un sanglier... »
Le soir même, scintillante, elle paradait au centre d'un cercle d'hommes empressés, rivaux en séduction, en esprit. Madame mimait les émois que ces messieurs attendaient d'elle. Je l'entendis s'exclamer dans un cristallin éclat de rire :
    « Cher, vous finirez bien par me faire mourir de rire ! »
Puis, après un semblant de frisson :
    « Je meurs de froid. »
Ce qui lui vaut le bras protecteur d'un galant attentionné autour de ses épaules. Il semble lui proposer de s'avancer vers le buffet. Avec un regard de star de cinéma des années 30 elle s'exclame :
    « La riche idée, je meurs de faim ! »
La bouche pleine, devant un plateau tendu où tintent des flûtes pétillantes de champagne :
    « Vous arrivez à point nommé, je meurs de soif ! »
Verre à la main, de son pas souverain, elle erre de groupe en groupe, esquisse des sourires, évocation de promesses. S'attarde ici, attentive, s'en détourne :
    « Ciel ! Mais c'est que vous me feriez mourir d'angoisse ! »
Et s'éloigne une main sur le cœur.
Plus loin je la surprend à susurrer à l'oreille d'un bellâtre :
    « Cessez, pour l'amour de moi ! Vous me feriez bien
     mourir à petit feu, vous !
    « -Préféreriez-vous, Belle, mourir pour des idées ?
    « -pour des idées ? d'accord, mais de mort lente. »
Marivaudage, marivaudage, éclats de rire taillés sur mesure, en mesure, unisson.

« ….......elle l'a serré au cou, c'est une litote bien sur, ….. une horreur !
    Jusqu'à ce que mort s'en suive. »


Eh bien, contre toute attente, Marie-Chantal n'est pas
    morte pour la France,
elle n'est pas
    morte au champ d'honneur
pour elle pas de
    mort à crédit
ni de
    mort sur ordonnance.
Quant à
    mourir d'aimer
elle en était bien incapable, elle n'avait de vénération que pour sa seule image.
Hélas pour son narcissisme, elle ne put pas même chanter
    « Ah ! mourir pour mourir je choisis l'âge tendre »
elle l'avait dépassé depuis...
Eh oui, Marie-Chantal est tout simplement

    morte de sa belle mort.
Gabrièle Benitah
Décembre 2014

Liste des lieux où j’ai vécu…

Commençons par le seul lieu dont je n’ai aucun souvenir. J’y suis resté trop peu de temps. La maternité de la Roche-sur-Yon. Quand bien même j’y serais resté un mois, je n’en aurais aucun souvenir. Je sais simplement que j’y ai vécu un laps de temps certain.
Le quartier Jean Yole. Tiens ! Ai-je bien écrit Jean Yole ? Phonétiquement, ça tient la route, c’est l’essentiel. Oui, toujours la Roche-sur-Yon, Vendée, 85. Des tours de plus de cinq étages. Nous habitions dans un des appartements du cinquième et nous ne vivions pas à l’étage le plus haut ! Un immeuble,  H.L.M. …
Tiens,  je viens de me rappeler, une photo, c’était avant Jean Yole ! Toujours à la Roche, appartement de la cité Ambroise Paré. La télé allumée, une télévision en noir et blanc. Mon frère Laurent qui danse, moi qui l’observe. Finalement, j’observe depuis plus longtemps que je ne croyais. Je ferme la parenthèse de cet oubli.
Jean Yole, l’immeuble, ses caves, son homme à la cape noire et nous, mes frères, des amis et moi qui nous effrayons mutuellement. Le champ de foire, en face. Il suffit de traverser la route, juste derrière le gymnase. Ses vaches et ses taureaux, des charollais, énormes. Cinq ans… six peut-être, ma sœur est née…déménagement.
La Soulinière des Clouzeaux. Pas de numéro, quelques maisons entre la bifurcation en fourche qui conduit au village même de la Soulinière. Parmi elles, dans un vaste champ, celle où j’ai vécu jusqu’à mes dix-neuf ans. La campagne après la ville. Une aire de jeux et d’investigations de champs, de clôtures électriques, de leurs poignées de châtaigne comme on dit quand par mégarde nous établissons un contact trop intime avec elles, des chemins  jonchés d’ornières creusées par les roues de tracteurs, des chemins bordés  de chênes centenaires, parfois même tricentenaires pour certains. J’aime les chênes, je ne sais pourquoi !
Avignon, rue Pompée Catilina dans le quartier des Sources. Avec ou sans h ? Il y avait un numéro. Lequel ? Une maison que mes parents louent. Un petit jardin. C’est bien, les beaux jours. Montpellier, Avignon ? J’ai préféré Avignon, plus petite faculté. Mon père a donc choisi Avignon… Il faut s’habituer à la chaleur, aux fortes chaleurs même.
Bon, j’ai peu de temps.
Montpellier, étudiant, licence, maîtrise. Pas facile de se loger. La première année, la seule possibilité de logement trouvée, la caravane au camping municipal. L’année où les étangs en Camargue ont gelé, où les flamants roses, phoenicopterus roseus roseus ou roseus ruber sont restés coincés, les pattes prises dans la glace.

Bon, le temps imparti est fini… la liste sera incomplète !
Jean Luc Sauton

mercredi 3 décembre 2014

Désert


  • C'est la faute à St Ex
  • A St Ex ?
  • Oui, cette envie de désert, c'est la faute à St Ex. Depuis le renard et le petit garçon tu as toujours eu envie de te perdre dans le désert.
  • Du sable, du sable, même en format panoramique ce n'est que sable. Et cette couleur : pâle, jaune, ocre. Peu de vert car peu de végétation.
  • Où est l'oasis ?
  • Heureusement entre deux monticules tu nous montres un morceau de ciel. Bleu, très bleu.
  • Il doit faire chaud, ça se voit à la couleur du ciel. Comment dit-on déjà ?  Ah oui, un ciel de plomb.
  • Et ce silence : juste le crissement de tes chaussures.
  • Ce n'est pas vrai : il y a des bruits dans le désert. Le vent. Le vent qui fait parler le sable sur les dunes. C'est à peine croyable le bruit que fait le sable en roulant sur la dune.
  • As-tu soif ?
  • Parfois. L'air est sec, les yeux piquent puis pleurent. Le nez n'arrive plus à respirer. Tu mets le chèche pour te protéger.
  • Mais qu'est-il allé faire dans le désert cet enfant ? 
  • C'est plat, il n’y a rien, personne, aucune vie.
  • C'est faux : les dunes sont hautes, plus tu les gravis, plus elles sont hautes.
  • Et au bout de la photo, dans l'immense paysage, un homme va surgir, venu de nulle part, en sandales, un bâton à la main.
  • Que cherche t-il ? Le renard ?
  • La vie elle est partout. Un insecte qui traverse, un serpent qui coule, des traces de pattes.
  • Où vont-ils ?
  • Si je ferme les yeux et que je tourne sur moi même je ne sais plus de quelle direction j'arrive.
  • Tu peux te perdre ?
  • Oui, facilement et aussi facilement perdre ton âme.
  • Comment est la nuit sur ta photo ?
  • Si la lune est levée c'est le même spectacle sans les couleurs, avec le froid et les étoiles filantes.
  • Tu y retourneras ?
  • Oui, même si ça ne s'est pas du tout passé comme je l'imaginais.
  • Ah bon ?
  • Je n'ai pas rencontré le renard.

Martine Fagard
Valréas, novembre 2014

dimanche 23 novembre 2014

D'eau et de mots


Assignée à résidence.
Abandonnée ?

Cernée d'eau.
Au-dessus, une ombre gigantesque. Des nuages. Ils roulent et s'enroulent sur eux-mêmes dans des fracas de menaces.
Partout des arbres innommés volent des fragments de lumière à l'invisible. Quoi sous la canopée entêtante ?
Fragrances d'écorce vive, silex brûlé, sucre et miel, mousses saturées de moiteur.
De branche en branche un cri ricoche.

Là, dans les sables noirs, ses pieds prennent peur. L'eau sans couleur d'une caresse semble les vouloir avaler. Le sol se dérobe. Succion.

Impossible de rejoindre
l'ailleurs où, à grands gestes disloqués, sa tribu l'appelle.
Là-bas, où tout resplendit – couleurs, lumières.

Entre l'ailleurs et l'ici,
le frémissement d'un voile de vapeur !...

L'eau clapote. Petits bruits indécis, insidieux, « viens, viens ».
Mais sombre ! Si sombre !

La flottaison des algues diffuse l’âcreté des embruns.

L'espace se resserre.
Algues sirènes,
chants mouillés des feuillages,
flop-flop  trop paisible insinué entre les orteils, sous la plante des pieds.
Rafales d'iode et de parfums paradisiaques.

Pourquoi tout ce noir, ce vert, ce bleu, outrés jusqu'à cette opacité glauque ?

Demain.
Oui, demain.
Elle se risquera.
Ardemment, elle tentera de mêler le bruitage de ses pas
aux branches qui craquent,
aux pierres qui éclatent,
au vent dans les frondaisons,
au rire, peut-être, d'un singe, d'un oiseau...

Rendra-t-il le soleil à
cette prison de ténèbres

qu'il lui faudra bien arpenter ?

Ici.
Où elle fut,

assignée...

Gabrièle Benitah
Ateliers d'écriture des Nuits de l'Enclave, Valréas, automne 2014

mercredi 12 novembre 2014

Quand Valréas s'appelait Vaurias


Mon territoire

En posant pieds à terre et nez en l'air, la caresse nerveuse de ce bon vieux mistral s'est engouffrée en me pénétrant ardemment cœur et corps.

Est-ce que je savais qu'il m'était possible de retricoter ce lieu dont je me suis rendue coupable d'abandon ? L'espace d'un instant, il me plaît d'arpenter ces poussières de souvenirs accumulées en moi. Je suis là. Tu es là. Je ne te connais plus, ni ne te reconnais. Et toi, te souviens-tu de ma petite personne ?

Pourquoi me regardes-tu au travers de tes yeux des rues froides, figées, désertiquement désertées ? Pourquoi me prives-tu des rires enfantins, des discussions de tes métallurgistes en grève ou du boucan terrifiant et assourdissant des métaux, des effluves enivrantes de lavande, du chuchotement de tes boîtes de carton, du frémissement de celles en satin..., du parfum qu'elles devaient contenir en d'autres lieux, des regards du dedans des vitrines, du ... ?

Ah ! Vaurias de mon enfance ! Comme tu étais vive, turbulente, belle, jeune, enthousiaste, rieuse ... sage comme la vieillesse, bonne comme le bon pain sous les vapeurs de la locomotive de grand-père et comme tu...
Quoi ! Lou mistrau, tu me bouscules, me frappes, me gèles, me brûles, m'empoussières... dans le tourbillon de ta grande vengeance qui n'a pu frapper plus tôt.

Extrait de "L'espace d'une vie de femme"
De Giselle MUSICIEN le jeudi 25 septembre 2014