mercredi 25 mars 2015

Entre ciel et terre à "Coup de pouce" !

De nouveaux haïkus ont été écrits par les participants de l'atelier d'écriture "Coup de pouce" à Valréas. En voici quelques-uns :


Sur les cols des hautes montagnes
Drapeaux et banderoles
Claquent au vent.
Jean-Pierre Guinard
L’obscurité vient :
Derrière la lune
Le soleil se cache !
Julie Moreno
Le père Hiver agonise
Son fils le Printemps
Va régner
Alain Squividant
Sur mon balcon au printemps
J’ai étendu ma serviette :
Je goûte la chaleur !
Anaïs Pidoux
Juin dans le jardin
Des oiseaux, des enfants
Qui piaille le plus ?
Laurent
Le ciel en furie
Crache des éclairs
Multicolores
Alain Squividant

vendredi 6 mars 2015

Reflets...

Au revoir, sacré lascar

Es-tu déjà venu ici ? Peut-être bien. Peut-être pas. Ce qui est sûr, c'est que tu n'y viendras plus. Quoique. Ton esprit est peut-être déjà là, qui flotte au-dessus des reflets irisés.
Je sens l'odeur du feu, le sable dans les ourlets du pantalon. Tu joues debout parmi les tiens, l'œil brillant, le torse bombé. La nuit a été longue et courte, pleine d'aventures déjà terminées.

J'entends le ressac et ton cœur qui bat. Tu caresses ses cheveux. Elle s'est endormie en travers de toi. Tu n'oses pas bouger. C'est l'heure où les étoiles disparaissent une à une. Tu te noies dans le ciel, essayant de les retenir toutes. Les braises veillent mais personne ne le sait. Pour te réchauffer, tu chantes dans ta tête. Tu joues, tu ris.

J'ai oublié l'avant et l'après. Je n'ai gardé en mémoire que ce studio minuscule, cet évier débordant de vaisselle et cet énorme phallus en céramique rose bonbon qui trônait sur le comptoir derrière ton lit. Nous étions cinq, deux filles, deux garçons et toi, astre solaire qui ne me quittait pas des yeux. J'étais debout, éblouie par cette myriade de coupures de presse, papiers jaunis punaisés à même le mur. Toute ta personne jubilait de voir ma mine ébahie. Les trois autres avaient disparu de notre espace. Je regardais ces photos, je lisais ces articles, je revivais tous ces instants comme si je les avais déjà vécus. Partout ta tignasse et tes yeux fendus. Tu me regardais plonger dans ce passé. Tu étais heureux qu'une jeune gazelle s'intéresse à un vieux briscard comme toi.

Es-tu déjà venu ici ? Connais-tu cette plage ? C'était la préférée de Brassens, m'a-t-on dit. L'as-tu rencontré ? La guitare, la moustache qui frétille au passage d'un jupon.
Ce soir, tes boucles se sont envolées par-dessus les dunes. Elles dansent avec les étoiles et les notes perdues. Cette musique qui ne vit qu'une fois et qui revit sans cesse.
Une vague apparaît, disparaît, laissant la place à ses sœurs.

J'aime la mer, le sable et le feu. Les guitares et les torses bombés. J'aime les nuits plus belles que les jours. Au revoir Manitas.

Florence REY, Valréas
novembre 2014 - écrire à partir d'une photo


Reflet létal

Avais-je bien fait de revenir ?
Je ne saurais dire combien d’années s’étaient écoulées. L’oubli. Essayer d’oublier en croyant fermement que le temps ferait son œuvre.
Seulement les souvenirs finissent toujours par vous rattraper. Vous ne savez pourquoi, un jour, alors que le quotidien aurait dû vous conduire comme chaque matin à éplucher des dossiers que ne désempilent jamais, sans vous prévenir,  vos yeux fixés sur le feu rouge se laissent happer par la longue chevelure d’or d’une fillette qui traverse devant votre véhicule. Le souvenir vous rattrape alors, un souvenir que vous pensiez suffisamment enfoui pour l’avoir à jamais oublié.
C’est ce qui m’est arrivé ce matin de mars. Alors, allez comprendre pourquoi, j’ai bifurqué au premier croisement. Je n’irai pas travailler ce matin.

J’ai parcouru plus de huit cents kilomètres sans m’arrêter. Presque. Une seule petite halte pour le ravitaillement en carburant. Mon seul compagnon de trajet a été l’image d’une longue chevelure blonde qu’emmêlait avec malice l’espiègle Mistral. Allais-je seulement retrouver le sentier où me ramenait mon souvenir ? Allais-je retrouver l’embranchement du chemin ou la forêt l’avait-elle avalé pour en interdire à jamais  l’accès ? L’avait-elle phagocyté pour que jamais ne resurgisse ce passé oublié ? Je ne saurais dire si inconsciemment je l’espérais ou non, si à mon insu je n’échafaudais pas une excuse pour renoncer. Stopper net. Rebrousser chemin. Après toutes ces années, je ne reconnaîtrais certainement plus rien.
Je me suis surpris à constater qu’il n’en était rien. Alors que j’approchais de l’embranchement, l’environnement m’est apparu de plus en plus familier. Des détails même infimes auxquels je n’avais jamais prêté attention trente ans auparavant, surgissaient, se bousculaient, venaient se télescoper à la moindre de mes pensées. J’approchais.

Noyé dans une végétation mal entretenue, du panneau indicateur « ferme Allecq » ne restait plus que le piquet de bois vermoulu qu’aucun automobiliste n’aurait deviné sans en connaître par avance l’existence. Sans prendre la peine de ralentir, j’ai viré sèchement pour m’engloutir dans la partie boisée du sentier, anéantissant d’un coup le piquet, en effaçant toute trace pour l’éternité. La voiture s’enfonçait à vive allure, chassant tantôt à gauche, tantôt à droite, sur un sol boueux que les pluies de la nuit avaient détrempé.
Il avait plu cette fin d’après-midi.  Il pleuvait même encore quand j’abordais le sentier. Les feuilles trempées de pluie laissaient perler d’énormes gouttes qui s’écrasaient en grand « ploc » sur le pare-brise.  J’évitai de justesse un tronc couché en travers du chemin. « Il faudra que j’envisage sérieusement de rendre le chemin plus praticable », pensais-je. J’avais ralenti et je roulais plus prudemment. Les fortes pluies de la veille qui s’étaient abattues sur un sol gorgé d’eau avaient transformé le chemin en patinoire de boue. Je risquais le dérapage incontrôlé ou l’enlisement à chaque ornière.


Des gouttes de sueur perlaient de mon front, de mes tempes. La peur ? Je ne savais ce qui me poussait à poursuivre. J’aurais pu stopper, enclencher la marche arrière, retourner à la case départ, à ce feu rouge où avait flotté au vent cette longue chevelure blonde… La case départ... N’était-ce pas là ?
J’avais réussi à gagner malgré plusieurs dérapages le dernier virage boisé du sentier.

Il était trop tard pour reculer. J’atteignais déjà le dernier virage boisé du sentier. À peine dépassé, un vaste champ colonisé par les hautes herbes et les ronces où se perdait le chemin s’est ouvert devant moi.
À la sortie du virage, une vive lueur rougeoyante d’où s’échappait un énorme panache grisâtre parsemé de braises incandescentes éclairait l’horizon. La bâtisse au lointain flambait. J’avais blêmi et mon pied avait appuyé sur la pédale de l’accélérateur. L’ornière suivante me fut fatale. La roue s’y enfonça, bloquant net l’avant du véhicule, l’arrière chassa, je fus incapable de redresser, la voiture se souleva et en quelques tonneaux se retrouva au milieu du champ de tournesols qui avaient pour la plupart ployé sous le poids de l’eau.

J’ai parcouru quelques mètres avant de freiner doucement pour stopper à l’endroit même où autrefois se dressaient les premiers rangs de tournesols. J’ai ouvert la portière.
Par chance, le dernier tonneau avait laissé la voiture sur ses quatre roues.  J’en étais sorti un peu groggy, plus hagard de voir impuissant l’incendie dévorer la ferme que des chocs et contusions occasionnés par les culbutes du véhicule. Sans réfléchir, j’avais regagné le chemin pour courir droit en direction du brasier ardent en hurlant son prénom.

J’ai posé un pied en dehors du véhicule, je me suis extirpé de la chaleur de l’habitacle et j’ai regardé droit devant. De la bâtisse, il ne restait que quelques vestiges des vieilles pierres qu’on apercevait de temps à autres dans les rares espaces que la végétation avait  épargnés. J’ai marché quelques pas dans ce qui semblait être jadis le chemin qui menait à la ferme. Quelques pas seulement. Ce devait être pas là. Là.  J’ai cherché du regard à retrouver l’endroit. Comment pourrais-je le retrouver ? Ce n’était pas possib… Je suis resté immobile. Non. Non… Ce n’était pas possible. J’ai senti mon cœur s’arrêter, ma bouche s’assécher, mon souffle se figer. Comment était-ce possible ? Malgré la pluie qui était tombée peu de temps avant, la terre avait tout absorbée, tout… excepté à quelques mètres de mes pieds. Une flaque d’eau s’étendait. Une flaque d’eau, là…  précisément là.

La pluie cinglait, je courais droit devant, j’avais à peine parcouru quelques mètres, je heurtai quelques chose et m’affalai de tout mon long. Je me redressai aussitôt tant bien que mal, machinalement je tournai la tête vers la raison de ma chute. Je l’aperçus alors.  Etendue, la jupe relevée au dessus de ses hanches, la tête plongée dans une flaque d’eau où  ses longs cheveux blonds flottaient. Je me jetai sur elle, relevai son visage. Je n’oublierai jamais son regard vide, jamais. Mes hurlements se perdirent dans le grondement de l’orage qui éclata au même moment.

J’ai parcouru les quelques mètres qui me séparaient de la flaque. Je m’y suis agenouillé au bord, j’ai laissé les larmes venir. L’eau reflétait le branchage d’un arbre mort. Triste coïncidence. Quelques ridules que le vent formait serpentaient à la surface de l’eau. Un semblant de vie. Pourquoi avais-je fait tous ces kilomètres ? J’allais me redresser quand brusquement j’ai cru entendre mon prénom. On m’appelait. Non… pas on. Elle. Elle m’appelait. Devenais-je fou ?

J’ai tendu l’oreille, la voix se faisait plus proche. On aurait dit qu’elle provenait de… non ! Je divaguais. Pourtant je l’entendais. Alors je me suis penché au-dessus de la flaque. Elle m’a renvoyé un visage vieilli que je ne reconnaissais plus. Le temps y avait laissé ses traces. Au moment où j’allais détourner mon regard mon reflet s’est troublé pour se brouiller totalement. Je suis resté un moment suspendu au dessus de l’eau sans vraiment comprendre ce qui arrivait. Quand petit à petit s’est redessiné le reflet, seulement, ce n’était plus moi. Je l’ai vue, elle. Elle était là, au fond de la flaque, elle me regardait,  elle m’appelait et tendait sa main vers moi. J’ai tendu ma main vers la sienne pour l’attraper. Nous nous tenions la main comme autrefois. J’ai souri.  Je me suis penché plus en avant et j’ai plongé la tête pour l’embrasser.
Ensuite, je ne sais plus. La seule chose que je sache, ce sont ces mots lus dans les faits divers d’un quotidien du cru.


« Jeudi 22 mars. Jacques Bredouille et Daniel Lelièvre, deux chasseurs de Goudargues, ont découvert à quelques mètres d’une voiture dont le moteur tournait encore,  portière conducteur ouverte, le corps sans vie d’un homme. D’après les premiers constats de gendarmerie, l’homme, encore non identifié, a été retrouvé à genoux, la tête baignant dans une flaque d’eau, la main entièrement enfoncée dans le fond boueux. Aucune marque de violence apparente. L’homme serait mort noyé. Le mystère demeure. L’enquête continue. »