"Tobie", Lansman Ed. |
Raconter le parcours. La première séance a consisté d'abord en une prise de contact, et de questions-réponses autour de "qu'est-ce qu'un auteur ?", "comment le devient-on ? Pourquoi ?", "comment cela se vit-il au quotidien ?", puis davantage autour de l'écriture pour le théâtre, des questions autour de la représentation, de la publication, des écritures "autour du théâtre" que j'ai pratiquées comme la radio, le cirque, la marionnette.
Ils ont préparé des questions.
Ensuite, nous sommes rentrés plus précisément sur la pièce Tobie qu'ils avaient lue, et sur laquelle ils avaient commencé à avancer grâce à une grille de lecture que nous leur avions proposée : la topographie de l'histoire, les quatre éléments et leur influence sur la trame dramatique, la présence d'un objet récurent (les draps), le temps – ou plutôt les temps – de la pièce, etc... Des questions liées aussi à la notion d'adaptation, au regard d'une autre pièce qu'ils étudiaient au même moment, l'Antigone (Anouilh versus Sophocle). La lecture du passé, la lecture du présent. Comment deux temporalités peuvent cohabiter grâce à l’écriture. Cette chose rendue possible. Ce pouvoir-là de l’écriture. La tresse dramatique.
"Tobie", mise en scène Sabine Pernette |
La fin de la séance a consisté en un premier atelier d'écriture, en quatre groupes de six ou sept élèves : écrire "la scène qui suit" la dernière scène de Tobie, imaginer une autre fin, imaginer une nouvelle dernière séquence...
La deuxième séquence a été l'approfondissement de l'écriture de cette dernière scène, toujours par groupes. Sensibilisation à la vraisemblance, à la psychologie des personnages, à la prise en compte de ce qui précède, au temps et à l'espace scéniques, à la répartition entre dialogues et didascalies... Nous donnons quelques contraintes supplémentaires pour l'écriture (un objet et deux mots qui doivent être présents dans leur proposition d'écriture). La contrainte devient motif à jouer avec les mots, les actions scéniques, les codes théâtraux. Réinvestir ce qu’on a dit sur les éléments, les espaces, les temps de la pièce. Intérêt pour moi de voir qu’ils ont compris qu’on pouvait s’autoriser l’humour même dans un sujet grave, qu’ils font ressurgir sur scène des personnages secondaires mais importants (le chien), qu’ils « donnent leur chance » aussi à des personnages comme Edna…
Les tâches ont été réparties dans chaque groupe comme dans une petite troupe de théâtre (les comédiens bien sûr, mais aussi le metteur en scène et le dramaturge). Puis nous avons écouté une version radiophonique de Tobie réalisée par France Culture en 2009 et dont j'avais apporté le CD. Discussion, ensuite, sur le bruitage, sur le choix des comédiens par rapport aux rôles, sur le parti-pris par le réalisateur quant au contexte historique...
Richard Davies, Tobie et l'ange |
Entre la deuxième et la troisième séance, les quatre groupes ont continué de travailler avec l’enseignante pour arriver à l'écriture de leur scène qui, toutes, étaient de bonne tenue, et qui avaient en outre le mérite d'être à la fois vraisemblables, originales et différentes les unes des autres.
La troisième et dernière séance a pu se faire à l'auditorium de la ville de Graulhet, avec mise à disposition d'un régisseur. Chacun des quatre groupes a d'abord fait une lecture publique de sa proposition, le metteur en scène lisant les didascalies. Premiers retours critiques des uns et des autres, quelques corrections. Puis le metteur en scène voyait quelques instants le régisseur pour négocier une conduite lumière tandis que les comédiens construisaient leur espace scénique. Enfin, répétition générale. Deuxièmes retours critiques, de la part de leur metteur en scène, de la part des autres collégiens, et de ma part. Ultimes corrections. Quand les quatre groupes sont passés, après une courte pause, nous enchaînons les quatre scènes "en condition spectacle". Cela se fait rapidement : un quart d’heure, vingt minutes tout au plus. Nous terminons par un bilan de ces trois demi-journées.
Il me semble pour ma part que la trajectoire qui va du livre à l'écriture, puis de l'écriture à la scène a été bénéfique. Au fur et à mesure qu'ils passaient de lecteurs à écrivains, puis de écrivains à acteurs, ils ont gagné en engagement, en assurance et en participation. Je pense qu'ils connaissent mieux aujourd'hui le texte dramatique, dans les différents enjeux de celui-ci : à la fois livre qu'on peut lire, texte qu'on peut écrire, partition qu'on peut jouer.
Workshop autour de "Tobie" à Québec |
J’étais à l’aéroport de Blagnac où le taxi m’avait conduit, en salle d’embarquement, j’avais une demi-heure à attendre. J’ai repensé à ces trois jours, ces trois aller-retours à Graulhet, Tarn. Il y a eu un effet d’accélération et d’accroche avec ce groupe, autour de l’écriture dramatique et de Tobie. Je pense à un avion qui décolle.
Aux étapes : l’installation et le comptage des passagers tout d’abord, puis le positionnement sur la piste de décollage, et pour finir l’accélération jusqu’à l’envol et la poussée des réacteurs. Ce sont ces trois phases que nous avons vécues. D’abord une prise de contact un tout petit peu intimidée, de part et d’autre, mais enfin on va faire un bout de trajet ensemble alors on s’installe dans le projet, et puis on commence à avancer, c’est le moment de l’écriture, on rentre plus profondément des les enjeux de la pièce, et puis enfin, le saut dans le vide pour certains, parler un texte, mettre l’écriture en corps.
J’ai senti, à ce moment-là, qu’on était véritablement embarqués ensemble, et que, comme l’avion qui arrive en bout de piste à pleine allure et n’a plus d’autre choix que de décoller, nous avions pris notre envol ensemble. Chacun ayant été successivement lecteur, auditeur, écrivain, spectateur, acteur, critique. Et pour certains, metteurs en scène. Ce fut un beau voyage."
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